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3 janvier 2012

Un texte de Josée Blanchette

Les lâches achètent la paix et l'amour A RABAIS

Par Josée Blanchette, Châtelaine, Janvier 2009

 

Il se laisse aimer, aimer sous toutes les coutures, même les plus lâches.  Il se laisse aimer comme on se laisse aduler, avec des offrandes à ses pieds.  Son coeur est une forteresse, ni à prendre ni à conquérir, un vase clos.  Aimer exige un courage de guerrier. Se laisser aimer ne demande rien, sinon un semblant d'affection, une agréable passivité.  Se laisser aimer, c'est faire du trapèze avec un filet de sécurité, un parachute et une assurance vie.

Elle l'aime comme une bouée, pour ne pas se noyer.  Elle l'aime comme une blessure qui ne se refermera jamais, plus vaste que son sexe.  Elle paie cher pour avoir le privilège de l'aimer.  Quand on aime, on ne compte pas.  Elle lui a prêté 100,000 dollars, son salaire de tout un an.  Dans quelques années, elle devra déclarer faillite ou réhypothéquer sa maison.  Elle n'a plus rien à offrir en garantie, que l'amour.

Qui parle d'amour?  Ce n'est pas de l'amour, c'est du besoin.  Elle l'aime même s'il la trompe, la bafoue et lui fournit toutes les raisons de le quitter.  C'est l'ultime preuve de son amour, de sa blessure qu'elle garde intacte pour lui.  Elle reste accrochée comme une algue à sa bouée.

Plus nombreuses qu'on pense, les femmes abusées proviennent de tous les milieux, même scolarisés.  Un doctorat n'a jamais rendu personne intelligent.  Ces amoureuses déchues n'existent qu'à travers le regard de leur bourreau.  Gâce à lui, elles cultivent l'impression de se réparer.  L'enfance, certainement, contient les réponses à cette recherche de la douleur et du rejet.  Passion et souffrance, deux mots, une même racine.

Consciente qu'il ne l'aimera jamais, elle est devenue son bailleur de fonds - une position de pouvoir.  Il se prête à ce jeu de dupes, à cette alliance sadomasochiste.  It takes two to tango.

Il est le gigolo entretenu dans ce cocon confortable.  C'est l'être le moins libre que l'on puisse imaginer.  Il a abdiqué sa souveraineté.  Il accepte d'être un insecte pris au piège d'une toile d'araignée alors qu'il est le premier à se saisir d'un balai pour chasser les sorcières.

Je connais des gens qui se laissent aimer et n'ont pas le courage de se lancer dans le précipice amoureux.  Ils ont souvent été maltraités dans leur enfance, tant physiquement que psychologiquement. Pour eux, le lien de confiance entre deux coeurs est brisé à jamais.  Il ne s'abandonneront plus au risque d'être vulnérables.

Aimer exige un courage qui les a quittés.  Etre aimé laisse le champ libre et le coeur avec.  Se laisser aimer n'engage que l'autre, pas soi.  On ménage sa monture. Et quand le meilleur se présente, on ne le voit pas ou on le sabote, consciemment ou non.

Je ne juge pas de la stratégie.  Je me suis déjà laissé aimer.  J'espérais secrètement que l'amour viendrait un jour, comme l'appétit vient en mangeant.

Je me suis sentie faible comme une convalescente.  On laisse échapper des mots d'amour, mais le coeur n'y est pas.  On peut tromper, c'est facile quand on n'aime pas.  C'est un amour d'une grande solitude, un amour-prison, sans horizon.  On peut être sincère quelques secondes tous les jours mais le demeurer durant  86,400 secondes chaque jour, c'est plus exigeant.  L'amour demeure le dernier territoire de notre propre vérité.  

Oser l'amour, c'est s'oser soi-même.  Partir à la rencontre de sa fragilité en quelque sorte.  Christian Bobin a écrit dans La lumière du monde:  "Deux choses nous éclairent, qui sont toutes les deux imprévisibles:  un amour et une mort.  C'est par ces événements seuls qu'on peut devenir intelligents, parce qu'isl nous rendent ignorants.  Ces moments, oû il n'y a plus de social, plus de vie ordinaire, sont peut-être les seuls oû on apprend vraiment, parce qu'ils amènent une question qui excède toutes les réponses."

Se laisser aimer, est-ce que c'est "se mentir d'amour" ou mentir à l'autre?  La seule réponse que je puisse offrir parle de paix achetée par des lâches.

Josée Blanchette, chroniqueuse au Devoir, à Châtelaine.  Son blogue:  Cause toujours au www.chatelaine.com/joblo

 

 

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